Mai 2025

Heureusement qu'on peut compter sur les livres et les smoothies.

Je crois que si je déteste autant l'expression « famille choisie » c'est parce qu'elle garde en son cœur le mot « famille » et que moi, ce mot, la structure qu'elle présuppose, les rapports qu'elle vante et oblige, je ne veux pas du tout la reconduire, même avec des personnes « choisies », qu'on ne choisit pas, d'ailleurs, je n'ai jamais eu l'impression de choisir les personnes que j'aime. Je les rencontre et, par hasard, je les aime. Et ce n'est pas un choix du tout, c'est un coup du sort un peu bâtard, et c'est très beau — si on s'y laisse aller.

Aussi je crois que je ne vais pas si mal en ce moment.
J'ai envoyé un manuscrit à plusieurs maisons d'édition (8) qui ne me répondront sans doute rien ou « non merci ». Mais bon, j'ai l'habitude que mes épées se noient.


Aimer est un acte qui se renouvelle toujours, c'est une actualisation permanente, quelque chose qu'on ne sort jamais du feu.
Il n’est pas nécessaire de poser le mot exact sur chaque chose. Notre réalité ne coïncide pas toujours avec tel concept ou avec tel autre (alternative binaire) ; nous ne sommes parfois ni l’un ni l’autre ; il arrive même que nous soyons l’un et l’autre, moitié-moitié, ou bien que nous nous reconnaissions dans deux mots sans demi-mesure, par exemple lorsque nous aimons, car nous aimons pleinement, à la fois ami fidèle et amoureux pour de vrai. Les catégories de langage sont des catégories de pensée. Les mots rassurent lorsqu’on est perdus. Ils aident à retrouver le fil. Et puis, plus tard, quand le fil est solide, on a envie de lui donner un peu de mou : ça ne s’appelle plus « se perdre » mais « partir à l’aventure ».
Antonin Crenn

En ce moment, je revois des films que j’ai aimés parce que j’ai besoin de m’extraire de la vitesse, de mettre un gros coup de frein, et de revoir, prendre ce temps, sortir de l’élan qui voudrait que je regarde 20 000 films par jour et surtout jamais les mêmes. Bah.
Bon, en fait, je réfléchis, je cherche des romans contemporains et je veux dire, presque tout me tombe des mains, et ça n’a pas tellement (pas toujours) à voir avec la qualité du roman, ça a voir avec ce que je cherche et que je ne trouve pas, ce que je cherche, et ce que je trouve dès que j’ouvre un roman de Bolaño par exemple, et qui me dit, en somme, tu es au bon endroit. Des romans qui, au-delà du style (et le Dieu des poètes maudits sait à quel point je suis dur·e avec ça, que j’abandonne un nombre grotesque de livres parce que le style ne me touche en rien) travaillent un mystère, quelque chose qui ne se résout pas, des romans qui flottent en eaux troubles, des romans qui se crashent comme des avions dans une chaîne de montagnes, des romans, oui, qui se perdent autant que nous. Alors c’est assez rare, je crois, parce que bon nombre de romans nous servent des vérités tout apprêtées, des sermons, de belles leçons de vie ou de morale, et moi je m’en fous, moi ce que je veux c’est qu’on me parle comme ça : « Il y a un type et il se met à marcher dans un bois. Moi-même, par exemple, je suis en train de marcher dans un bois, comme le Parco di Traiano ou comme les Terme di Traiano, mais en sauvage et sans autant de déforestation. Et ce type est en train, moi je suis en train de marcher dans la forêt et je tombe sur cinq cent mille Galiciens qui sont en train de marcher et de pleurer. Et alors je m’arrête (gentil géant, géant curieux une dernière fois) et je leur demande pourquoi ils pleurent. Et l’un des Galiciens s’arrête et me dit : parce que nous sommes seuls et que nous nous sommes perdus. »
Je vais essayer de vous expliquer quelque chose. Souvent je dis : le théâtre c'est ma vie. Et je crois qu'on ne prend pas tellement cette phrase au sérieux ; c'est vrai que moi aussi parfois je pense que c'est abusé de dire ça parce que je ne fais même pas de théâtre. Mais voilà, lorsque Julien Gosselin a annoncé la programmation du théâtre de l'Odéon, je me suis senti·e tellement ému·e, je veux dire, j'avais un sourire énorme qui me déchirait la tête, j'avais l'impression de ne pas avoir été travailler la journée, j'avais l'impression de décoller de ma vie et que tout était possible, j'avais les larmes aux yeux, j'avais de la joie pure dans le ventre. Donc c'est ça que je veux dire, lorsque je dis que le théâtre c'est ma vie, je veux simplement dire que c'est là où se situe la joie terrible de mon âme, ma foi de démon, mon désir impérieux de création.
« Même si tu tues tout, il restera toujours un monstre. »